Naissance des politiques culturelles en France
D’après Philippe Urfalino, celle-ci commencerait en 1959, avec la création du ministère des affaires culturelles, où l’État est vecteur d’un mouvement culturel par des actions publiques. Toutefois, nous retrouvons certains marqueurs d’une évolution artistique avant cette date.
Dès le début du XIXème siècle, une nouvelle politique de soutien et de création émerge avec la montée du socialisme en France, par des initiatives individuelles à l’égard de l’éducation « du peuple ». La décentralisation culturelle commence avec un déplacement des troupes et une circulation des spectacles en province. Pour ce faire, avec le soutien des pouvoirs publics, un office central des théâtres de province ou encore une réunion des théâtres lyriques nationaux sont préconisés par Jean Zay, ministre de l’éducation nationale et des beaux-arts sous la Troisième République. Le Front populaire induit le courant artistique. Des initiatives se retrouvent stoppées par la guerre, tel que le festival de Cannes supposé démarrer en septembre 1939. Pour ce qui est du reste, les politiques théâtrales suivent le gouvernement de Vichy et sortir de cette période va devenir un enjeu public. En 1944, le questionnement des communes et de leurs pouvoirs économiques sur l’exploitation théâtrale est mis à jour, permettant d’entrer dans une réflexion de décentralisation, pour surmonter ces années traumatisantes. Nous pouvons citer comme autre initiative remarquable post-guerre, la naissance du festival d’Avignon en 1947 créé par Jean Vilar, qui marque l’intervention culturelle dans les provinces. Ce dernier sera nommé directeur du théâtre de Chaillot, qu’il baptisera TNP, Théâtre National Populaire, comme à son origine.
La nomination de Jean Vilar est motivée par Jeanne Laurent, « sous-directrice des Spectacles et de la Musique ». Ses actions politiques nous font rentrer dans une nouvelle ère avec le renouvellement des cadres de production par la création des premiers CDN, Centres Dramatiques Nationaux.
Le premier, établi à Colmar en 1946, sera suivi par celui de Saint-Etienne et celui de Toulouse, pour un total de cinq CDN en cinq ans. Dans cette lignée, les conservatoires régionaux prennent place, de façon autonome ou liée avec l’activité d’un CDN, toujours dans la perspective animée par la sous-directrice que « l’art est un art de la communauté et de l’échange social ».
Naissance du Ministère des affaires culturelles :
Entre initiatives populaires et décentralisation théâtrale, les démarches menées précédemment préfigurent les bases de la politique culturelle à la veille de la Cinquième République. Par l’application de deux décrets, dont le premier s’appliquera le 3 février 1959, le ministère des affaires culturelles voit le jour. A sa tête André Malraux, avec qui la problématisation de la politique culturelle prend sens. Il se confie comme mission « de rendre accessible les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français ». Malgré le changement de signification de certains termes avec le temps, le discours de Malraux repose sur l’établissement d’une politique d’action culturelle bien précise.
Ce nouveau ministère va évoluer simultanément autour de trois principes de rupture complémentaires.
La première rupture est artistique avec une volonté de renouveau de fond et de forme.
La seconde est administrative, puisque la culture devient autonome et obtient une budgétisation indépendante.
Enfin, la troisième et la plus considérable, est la rupture idéologique avec l’instauration d’une « philosophie de l’action culturelle »*.
*Pour Malraux, il est important de différencier la culture de la jeunesse et de l’éducation. Son combat pour cette distinction marquera tout son mandat en tant que ministre des affaires culturelles.
Même si les ministères fonctionnent sous le même angle d’une politique gouvernementale, il est nécessaire de placer des frontières entre le divertissement et la pédagogie. L’engouement artistique et la création ne doivent pas s’arrêter à la culture commune et générale qu’une personne est censée acquérir avec l’éducation nationale et familiale.
Pour Malraux, « il appartient à l’université de faire connaître Racine, mais il appartient seulement à ceux qui jouent ces pièces de les faire aimer. Notre travail, c’est de faire aimer les génies de l’humanité ».
Création du réseau des Maisons de la Culture
Pour mettre en place cette idée, il va instaurer un nouveau projet, entièrement vecteur de sa politique : la création du réseau des maisons de la culture. Plus précisément, il établit un principe où connaissance et culture ne sont pas synonymes. L’un est apporté par l’enseignement supérieur et l’autre par les maisons de la culture. Ici aussi, il est intéressant de s’arrêter sur l’utilisation des termes. Le nouveau projet de Malraux induit une idée venant directement du Front populaire avec le rappel des « maisons du peuple » et d’une notion d’art de partage « d’art socialisé ». Toutefois, un point rompt les similitudes avec le socialisme, celui d’une « culture pour chacun » et non plus d’une « culture pour tous ». Ceci signifie que la culture se dirige vers un travail où la démocratisation reste le fil conducteur, mais en évitant l’écueil d’une qualité culturelle moindre pour pouvoir correspondre au plus grand nombre.
Une action exemplaire de cette démarche est la demande de programmation de tragédies à la Comédie Française, qui habituellement ne jouait que des comédies divertissantes, plaisant à la majorité. La nouvelle ère Malraux s’émancipe du divertissement pour aller vers la découverte, au risque d’avoir parfois une programmation élitiste car complexe ou trop novatrice.
Les maisons de la culture seront le fondement de l’action culturelle, loin de la jeunesse et du sport, « refusant de suivre la pente de la tradition de l’éducation populaire ».
Elles seront implantées sur tout le territoire français afin de limiter les inégalités territoriales. Le but n’est pas de créer un équipement similaire aux théâtres de province existants, mais de trouver un nouvel espace artistique correspondant à une nouvelle idéologie, pour un nouveau public et pour de nouvelles créations. Toutefois, il est facile de mettre en évidence le favoritisme pour le théâtre. En effet, Malraux dès 1959 réorganise les théâtres nationaux et destine les premières dépenses à la « décentralisation dramatique », en prenant la suite de Jeanne Laurent. De plus, la politique d’action culturelle centrée essentiellement sur les maisons de la culture, montre bien ce privilège. Les directeurs de ces nouveaux lieux sont des hommes de théâtre déjà ancrés dans le paysage artistique. Parallèlement, il semble plus simple d’utiliser le réseau des centres dramatiques préexistant comme point d’appui pour la construction et le développement de ces maisons de la culture, que ce soit pour des questions budgétaires ou artistiques.
En 1961, une direction du théâtre, de la musique et de l’action culturelle est créée au sein du ministère des affaires culturelles, qui se transformera en 1966 en direction des théâtres et des maisons de la culture. Ce changement de dénomination montre bien l’importance que les maisons de la culture ont dans la mise en place de la politique culturelle de Malraux.
Pauline Fondard est historienne de l’art. Elle s’est prise de passion pour le milieu culturel et ses enjeux et apprécie particulièrement les lieux qui mêlent architecture et culture telles que représentent les Maisons de la Culture.